Cela fait quelques années que l'idée me trotte d'enchainer les sommets chartrousins à plus de 2000m d'altitude. L'hiver, il n'est pas facile de réunir tous les ingrédients pour une telle sortie : à commencer par des conditions de neige convenables de 2000m à 800m d'altitude avec une nivologie acceptable, une belle météo, la durée du jour supérieure à 10H, au moins un compagnon de trace pour ce beau voyage et un minimum de forme physique pour enchainer 4500m D+ et près de 50km de distance...
Cette semaine le mercure a mis un sérieux coup à la neige, mais le regel matinal est plutôt bon. Un repère du coté de la brèche Arnaud et de la face Est du Grand Som ont fini de me convaincre qu'il fallait saisir l'opportunité. A ce jeu Rico est bien motivé pour m'accompagner. Au menu depuis le col de Porte :
- Charmant Som
- Grand Som
- Bec Scia
- Lances de Malissard
- Dent de Crolles
- Chamechaude
7h15, on poinçonne les tickets au col de Porte. Direction le Charmant Som via la D57. Le soleil arrose déjà la face Est où nous ferons la première descente en direction du collet qui bascule sur la combe nord de Chamechine. La neige est béton, les nombreuses barres rocheuses obligent à la prudence. Vers 1600m on part sur la gauche pour rejoindre le sentier qui conduit au collet. Il y a déjà une trace, cela facilite la recherche d'itinéraire. Coté nord, la neige est tout aussi carrelée. On profite encore de la trace qui sillonne dans la forêt pour nous conduire au passage entre les barres vers 1200m. Plus bas la neige devient croûtée et cassante.
2H plus tard, nous atteignons le point bas de notre randonnée à 750m d'altitude au pont de Valombré. Il suffit de traverser la route pour rejoindre le GR qui nous conduit à la Correrie, Musée de la Grande Chartreuse puis au Monastère. Un petit plein de glucose s'impose, façon nonettes pour gravir les 1026m qui nous séparent du sommet du Grand Som via le col de Bovinant.
Dans la forêt, la neige glacée oblige à se cramponner sur les bâtons. Après le col de Bovinant, les skis atterrissent sur le sac pour une progression à pied bien plus simple vers l'arête qui mène au sommet. Au dépeautage, il ne faut pas perdre un ski du mauvais coté : les tuiles ne sont pas faciles à remplacer...
La descente coté Sud pour rejoindre Champ Massot sous le col du Cucheron est la plus technique. Il faut rejoindre un passage en entonnoir qui n'est pas visible depuis la croix. En partant légèrement Est sur une neige encore dure, on le rejoint facilement en obliquant plein Sud vers l'altitude 1980m. L'entrée est évidente et nous profitons de 100m de moquette la seule et la dernière de la journée ! Au pied du goulet, pas la peine de lacher les wedzets, il faut partir plein sud en traversée pour rejoindre vers 1800m un petit passage qui permet le frachissement de la barre rocheuse.
Ensuite, on descend entre la barre et la forêt pour rejoindre le talweg qui sépare la Suiffière et la Charmette par un petit couloir étroit entre les rochers. Jusqu'à la route nous trouvons une soupasse bien lourde et profonde qui ne manque pas de tirer sur les cuisses.
On rejoint alors le bas des pistes de Saint Pierre de Chartreuse pour gravir le bec de la Scia sur la piste du télésiège de Battour. Il est midi le compteur affiche déjà 22km et près de 1800m D+ et cela ne fait qu'un seul sommet de 2000m sur quatre. Difficile de résister à la pause, d'autant que notre chemin croise une cabane à frites et la bien sympathique rencontre d'Anne-Lise et Johann qui cassent la croûte. Dans ces moments de coincidences heureuses le Coca-Cola et le Panini deviennent des nectars de plaisir et de convivialité !
Après quoi les 720m de grimpette sur la piste au soleil passent comme un digestif et la descente dans le slush total pour rejoindre le sentier du col de Saulce ne fait presque pas mal. A mi-pente sous les Lances de Malissard et avant la cabane de Bellefont, nous rejoignons le couloir Ouest des lances de Malissard puis la petite croix en bois qui marque le sommet.
Vu d'ici la dent de Crolles (à gauche) et Chamechaude (à droite) ne paraissent pas à portée de spatules. Nous plongeons dans le vallon de Marcieu pour remonter au col de Bellefont et rejoindre la dent de Crolles 5km plus loin. Sous le piton de Bellefont, on remet les peaux de phoques pour traverser sans trop redescendre (en gardant l'altitude 1850m) jusqu'au niveau du pas de Rocheplane. On redescend alors en direction du GR (alt. 1750m) où les marques sur les arbres ne sont pas faciles à trouver, pour une traversée qui conduit à une petite passerelle qui permet le franchissement des barres rocheuses. La remontée jusqu'au sommet de la dent de Crolles est ensuite évidente. Une fois de plus ce plateau peaumatoire aura coûté le double de temps que le simple calcul de distance et de dénivelation ne le laissait prévoir entre les Lances et la dent de Crolles: 2h au lieu d'une !
16h40, sommet de la dent de Crolles. Un SMS s'impose pour signaler qu'il sera difficile d'être à 18H30 à la maison. D'autant que nous le savons, la traversée entre le col du Coq et les Emeindras est interminable. La descente de la face Ouest de la dent de Crolles par le pas de l'oeil est plutôt bonne. La neige est soupée mais facile à skier. Depuis le col du Coq on descend coté Saint Hugues jusque 1300m d'alt. pour reprendre la piste de ski de fond ascendante jusqu'aux Emeindras. Mauvaise limonade, il n'y a qu'une vieille trace de raquettes sans glisse ou une croûte cassante : c'est parti pour 4km en mode mécanos lobotomisés. Arrivée aux Emeindras, le soleil quitte la partie. J'engloutis mes dernières réserves de sucre pour les derniers 600m de montée jusqu'à la brèche Arnaud.
J'avais prévu une remontée à l'ombre sur une neige dure reprise par le gel : Trop facile! Nous avons une croûte qui casse à chaque pas et oblige dans la pente soutenue à de nombreuses conversions. La course contre la nuit est mal engagée et pour le fun nous escaladons la brèche Arnaud à la lueur des étoiles... La frontale c'est pour aller chercher les bouteilles à la cave :-)
A la maison, sûr que la tribu commence à s'inquiéter. Au sortir de la brèche, je propose à Rico d'en rester là et de ne pas pousser jusqu'à la croix. Il était partant pour y aller... Finalement, la descente de nuit est déjà bien assez sportive sur une neige verglacée et traffolée. A Folatière je me souviens qu'il y a une lampe diode sur le telefonino. C'est largement mieux qu'une luciole pour anticiper les virages. 19h50, le poiçonneur des lilas valide le ticket, la Chartreuse nous a encore offert un magnifique voyage, esthétique et sauvage, 49km et 4500m D+, avec en prime un temps magnifique, des rencontres sympathiques et une neige exigeante.
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